TATOUAGE THERAPEUTIQUE OU TATOUAGE THERAPIE ?       

Le tatouage étant un art désormais très populaire, il n’est pas rare de voir apparaître régulièrement des débats sur la nature thérapeutique du tatouage. Au-delà de ce débat entre passionné.e.s de tatouage, de nombreu.x.ses artistes revendiquent maintenant la pratique du tatouage thérapeutique ou se donnent le titre de tatoueu.r.se thérapeute.

Pour commencer, peut-on s’accorder sur la définition du mot thérapie ? Ethymologiquement, thérapie vient du grec therapeía qui signifie “cure”. l’idée est donc bien de soigner, traiter. La thérapie appartient donc au domaine médical, qu’il s’agisse de soigner le corps ou, dans un autre sens communément admis pour le mot thérapie, l’esprit.

Les revendications de tatouage thérapie ne concernent bien évidemment pas le corps mais l’esprit, la psyché. Il faudrait alors comprendre que le tatouage serait une forme de psychothérapie, capable de soigner des blessures psychiques.

Se pose alors une double question : Le tatouage en lui-même a-t-il un effet thérapeutique ? Ou bien, est-ce l’approche des tatoueu.r.ses thérapeutiques qui est particulière ?

Le tatouage thérapeutique ?

Si l’on part du présupposé que le tatouage est, en soi, une pratique thérapeutique, ou du moins peut l’être, il faut alors admettre que le cheminement de cet effet thérapeutique est propre à chacun.e, peu importe l’artiste derrière les aiguilles. Que ce soit dans un processus de réappropriation de son corps, de marquage d’un événement important, pour dépasser un événement traumatisant, de construction d’une esthétique propre, les témoignages des tatoué.e.s sont innombrables pour décrire les effets positifs du tatouage sur le mental. L’exemple le plus parlant est sans doute celui des tatouages servant à recouvrir ou orner des cicatrices. Certaines cicatrices peuvent être des traces d’un passé indésirable ou douloureux. Leur simple vision peut s’avérer problématique pour certain.e.s et un rappel quotidien du trauma vécu. Ces personnes décident alors de recouvrir ou bien d’orner ces cicatrices avec un tatouage pour les aider à dépasser ce traumatisme. Les retours d’expérience sont généralement très positifs.

Est-ce à dire que tatouage à lui seul a cette capacité à guérir ces blessures psychiques ? Il est raisonnable de penser que non. Le tatouage intervient dans le processus de réappropriation corporelle et aide indéniablement à changer le regard que l’on porte sur une partie du corps mal-aimée mais c’est bel et bien un processus dont on parle ici. Un processus qui vient changer notre regard, apaiser notre relation au corps, atténuer la douleur d’un événement traumatique, améliorer la confiance en soi. Si le tatouage peut effectivement servir de déclencheur à ce processus, il n’a pas de caractère magique. Le travail doit être fait derrière et certains traumatismes plus sérieux (masectomies, brûlures graves…) nécessitent généralement un suivi psychologique, une thérapie encadrée par un.e professionnel.le.

Si le tatouage peut effectivement s’avérer un outil qui s’insère très efficacement au service d’une thérapie plus large, il ne fait pas, à lui seul, disparaître les traumatismes. Si l’on veut rester rigoureu.x.ses et garder un esprit scientifique, on peut sans doute parler d’effet thérapeutique du tatouage mais rien (aucune étude ni preuve scientifique) ne nous permettrait de parler d’une thérapie en soi.

Le cheminement sur la route thérapeutique sera donc différent pour chaque tatoué.e. Le tatouage pourra se révéler être un outil efficace pour enclencher le changement de regard sur soi, pour certain.e.s il sera même suffisant pour permettre à l’esprit de commencer son processus de guérison mais pour d’autres il ne sera qu’un outil parmi d’autres et un accompagnement par des professionnel.le.s pourra être nécessaire.

Le tatouage comme thérapie ?

Cette revendication de tatouage-thérapie se fait de plus en plus fréquente. Peut-être faudrait-il interroger directement ces nouveaux et nouvelles thérapeutes ? Quelles formations ont-ils ou elles suivies pour se nommer thérapeute ? Quel suivi réalisent-ils ou elles auprès de leurs clients (patients) ? Réalisent-ils ou elles des études pour mesurer l’efficacité des thérapies proposées ? Travaillent-ils ou elles en lien avec d’autres thérapeutes reconnu.e.s ? Qui ou quel organisme est habilité à contrôler leur travail ?

Si l’on admet que le tatouage peut avoir un effet thérapeutique, que pouvons nous penser de l’appellation tatoueur-tatoueuse thérapeute ?

Ces termes laissent entendre que l’artiste a une qualification particulière pour accompagner ses client.e.s, à travers le tatouage et peut-être d’autres pratiques aussi, dans un processus thérapeutiques. Les client.e.s ne sont alors plus les acteurs principaux de leur processus de soin, ils ou elles s’en remettent à l’artiste et à son expertise. Il faut aussi comprendre qu’il y aura nécessairement un suivi du client ou de la cliente. Rares sont les thérapies où une séance unique peut régler le problème identifié. , ou bien le tatouage réussirait là où toutes les thérapies cliniques ou comportementales échouent depuis des centaines d’années. Quelle est alors la spécificité d’un.e artiste thérapeutique ? En quoi sa pratique diffère-t-ell d’un.e artiste classique ? Y a-t-il des soins supplémentaires qui sont amenés en plus du tatouage ? Le tatouage pourrait-il se substituer à d’autres thérapies plus classiques comme certaines thérapies comportementales (comme l’EMDR / eye movement desensitization and reprocessing par exemple) ?

Ces nombreuses questions qui restent pour l’instant sans réponse nous amènent à penser que sauter le pas entre dire que le tatouage peut dans certains cas avoir un effet thérapeutique et affirmer que le tatouage est une thérapie et qu’il y aurait donc des spécialistes thérapeutes, c’est sans doute franchir des limites sans aucune visibilité, sans données scientifiques et donc potentiellement ouvrir la porte à des comportements problématiques de la part des prétendu.e.s thérapeutes.

La psyché des gens et leurs traumas sont une question trop importante pour s’en remettre à des raccourcis aussi rapides. Un.e artiste se prétendant thérapeute ne pourrait-il ou elle pas faire plus de dégâts que ce qu’il amènerait comme bienfaits ? Tout comme la santé physique, la santé mentale ne mérite t-elle pas d’être encadrée par un certain nombre de garde-fous et de guides des bonnes pratiques ?

Si les artistes thérapeutes sont si sûr.e.s de leurs méthodes, pourquoi ne les font-ils ou elles pas analyser par le monde scientifique ? Cela pourrait potentiellement mener à des progrès dans la prise en charge de certaines pathologies psychologiques.

Près de la moitié des dépenses de santé sont captées par des entreprises du bien-être.

La motivation principale de ces affirmations de tatouage-thérapie ne serait-elle pas, de façon plus terre à terre, une motivation d’ordre financière ? Aujourd’hui le “marché” du bien-être est un marché florissant qui attire bien des convoitises. Au niveau mondial cela représente près de 6% de la production économique mondiale. Dans les pays dits développés, près de la moitié des dépenses de santé sont captées par des entreprises du bien-être. Le secteur présente même une croissance insolente qui frôle les 12% chaque année depuis le milieu des années 2010. Cette tendance forte répond sans doute à l’échec de la médecine occidentale à prendre en compte le patient ou la patiente dans sa globalité, à considérer la dimension psychologique et son importance dans le processus de guérison. Les médecines et thérapies alternatives prospèrent sur les erreurs de la médecine dite traditionnelle.

allusions thérapeutiques comme arguments marketing

En situation de marasme économique mondial, l’économie du bien-être a semble t-il de beaux jours devant elle et il n’est donc pas étonnant de voir de nombreux corps de métier vouloir en profiter, le tatouage n’échappe malheureusement pas au phénomène.

Le risque de voir fleurir ces allusions thérapeutiques comme arguments marketing est donc très élevé et ne peut qu’induire les client.e.s à confier leur peau et leurs souffrances psychiques à des individus non formés, qui n’ont de comptes à rendre à personne et qui prennent, finalement, le processus thérapeutique bien à la légère.

Quid de la mention de tatouages “rituels”

Les termes “thérapeutique” et “rituel” sont souvent accolés et confondus dans une communication un peu opaque et peut-être volontairement floue. Ces deux termes sont-ils pour autant synonymes ? Dans un soucis de clareté, il faut admettre que non. Le mot rituel recouvre une multitudes de réalités. S’il existe bien entendu des rituels à visée thérapeutique, il existe aussi des rituels d’intégration, de transmission ou encore des rituels dits de passage. Dans tous les cas, le mot rituel désigne des tatouages qui s’incrivent dans un cadre de croyances structuré qui relèvent d’une culture donnée, que l’on a reçu en héritage et que l’on transmet en partie à travers le tatouage. On retrouve des rituels dans absolumment toutes les cultures, passées et présentes et certains de ces rituels impliquent ou ont impliqué du tatouage, commes d’autres modifications corporelles. Les exemples les plus connus sont les tatouages traditionnels polynésiens, berbères, indonésiens etc.

Toutes ces pratiques de tatouages sont empreintes de rituels qui donnent un sens spécial au tatouage. La pratique et le sens se confondent dans un acte rituel de marquage du corps. La technique, le geste et le sens donné se confondent pour ne faire qu’un seul objet rituel qui fait sens dans une culture donnée.

Forme nouvelle d’appropriation culturelle

Aujourd’hui malheureusement, de nombreuses pratiques de tatouage dits rituels voient le jour sans aucune connexion à une culture précise, voir même sans aucune connaissance des cultures invoquées, parfois en mélangeant des éléments de rituels venus de cultures différentes. une forme nouvelle d’appropriation culturelle appliquée au monde du tatouage. La porte semble grande ouverte à la constitutions de nouvelles mythologies, déconnectées de tout héritage ou culture, répondant simplement à une recherche marketing de sens pour créer de nouvelles niches de marché.

Pour creuser ce sujet particulier, nous avons dédié un article complet à la pratique des tatouages rituels.

En conclusion ?

Si l’on peut aisément admettre certains effets thérapeutiques du tatouage dans l’aide à la reconstruction d’une image positive de soi et de son corps, les artistes tatoueurs et tatoueuses, ne sont jamais des professionnels du soin. Ce sont des artistes, avec leur sensibilité, leurs qualités humaines et leur bonne volonté, ils peuvent même devenir des confidents pour certain.e.s client.e.s mais il est important de rappeler qu’ils ne sont pas formés pour prétendre délivrer des thérapies. Tout au plus, un.e artiste de tatouage peut-il se former aux premiers secours en santé mentale (PSSM), au même titre que n’importe quel.le citoyen.ne.

Les artistes ne peuvent pas se substituer à un véritable parcours de soin

Le monde du tatouage bouge et change avec le temps. Si la réputation du milieu d’être un concentré de virilisme et de culture toxique a sans doute largement été méritée, certain.e.s artistes, trop peu encore c’est certain, parvienennent à tisser des liens privilégiés et bienveillants avec leur.e.s client.e.s, les accompagnent dans certains moment difficiles ou importants de leurs vies et cette relation peut s’avérer très importante mais pour les personnes en souffrance, les artistes ne peuvent pas se substituer à un véritable parcours de soin, suivi, parfois sur des années, par des professionnels formés aux différentes thérapies et responsables devant les organismes concernés par leur branche.

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