TATOUAGES SUR LE VISAGE

Dans notre monde moderne, les tatouages sur le visage ont grandement été popularisés par des figures médiatiques, dans le hip-hop et la pop notamment, comme Lil Wayne, Ghost Mane, Migos, Travis Scott, Gucci Mane, Seth Gueko ou encore Post Malone.

Portrait du rappeur Seth Gueko ©abcdrduson

Mais avant d’être arborés par des stars du show business, ces tatouages faciaux étaient la plupart du temps, dans l’imaginaire collectif du moins, réservés aux délinquants, criminels ou membres du crime organisé aux XIXème et XXème siècles. On a toutes et tous en tête des images d’anciens prisonniers français avec une larme tatouée au coin de l’oeil, des imposants tatouages faciaux des membres de gangs à Los Angeles, comme la MS-13 etc

Portrait d’un membre du gang MS-13 © Rodrigo Abd / AP

Si notre imaginaire est rempli de ces images de gangsters aux visages tatoués, c’est tout simplement parce que pendant longtemps, et sans doute en partie aujourd’hui encore, ces tatouages étaient considérés comme socialement inacceptables, choquants et volontairement provocateurs. Qui mieux que des criminels endurcis pour lancer un tel défi à l’ensemble de la société et de la morale de l’époque ? Le message était clair : “Je suis un criminel, je l’assume, le revendique et je n’ai aucune envie de jouer selon vos règles sociales”.

De fait, les tatouages faciaux ont longtemps été, et sont encore à bien des égards, un puissant frein social, une arme de discrimination encore bien réelle. Avez-vous déjà vu un.e employé.e avec des tatouages faciaux derrière un guichet d’administration ? Avez-vous souvent été servi.e.s au restaurant par quelqu’un qui arbore un tatouage sur le visage ? Les personnes tatouées sur le visage que vous avez croisées ou que vous connaissez, exercent-elles d’autres métiers que tatoueu.r.se, pierceu.r.se ou artiste ?

Les images et les aprioris  associés aux tatouages faciaux sont tenaces et ne sont sans doute pas prêts de disparaître dans un futur proche.


Pourtant, l’histoire des tatouages faciaux est bien plus ancienne que cette mythologie du gangster et remonte même à plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires.

En fait, il y a des traces et des témoignages de tatouages faciaux dans de nombreuses cultures à travers le monde, y compris dans le monde occidental. A travers quelques exemples non exhaustifs, explorons ici la riche histoire de ces tatouages devenus “scandaleux”.


Des tatouages culturels

  • Chez les peuples Ainu du Nord du Japon et de certaines parties orientales de Russie, il y a longtemps eu une tradition de tatouer un très large sourire autour de la bouche des femmes de la communauté. Ces tatouages étaient destinés à les protéger des esprits qui souhaiteraient entrer dans leur corps par la bouche. Il y a aussi des témoignages de tatouages sur le front, les bras et les mains chez les femmes Ainu. Ces traditions ont peu à peu disparu à partir du début du XXème siècle. La dernière femme Ainu entièrement tatouée est décédée en 1998. Pour en apprendre plus sur les tatouages Ainus, cliquer ici.
Femmes Ainus du XXème siècle au Nord du Japon
  • À Taiwan, le peuple Atayal avait aussi pour coutume de se tatouer de larges bandes noires sur les joues, le menton et le front. Rite de passage à l’âge adulte, cette cérémonie était pour les jeunes garçons une façon d’indiquer qu’ils maitrisaient désormais les techniques de la chasse et pour les jeunes filles, l’art du tissage. Cette tradition à peu à peu disparu avec l’occupation de l’île par le Japon entre 1895 et 1945. Plus d’infos sur les tatouages Atayal en cliquant ici.
Kimi Sibal avec une vieille dame Atayal, Jian YuYing
  • Chez les peuples Inuit d’Amérique du Nord, la pratique des tatouages faciaux sur les femmes était aussi très largement répandue jusqu’à ce que les missionnaires chrétiens européens se mettent à persécuter ces populations et à leur interdire l’usage du tatouage au XXème siècle. Fort heureusement, grâce au travail des associations culturelles telles que Inuit Tattoo Revitalization Project, ces tatouages ont de nouveau cours dans la population actuelle. En apprendre plus sur les tatouages Inuits ici.
  • En Nouvelle-Zélande et aux îles Cook, les tatouages faciaux Māori, les Tā Moko, sont sans doute parmi les plus emblématiques et connus du monde. Présents, avec des variantes, aussi bien chez les hommes que chez les femmes, les Tā Moko sont aussi bien des marqueurs communautaires que sociaux avec des symboliques spirituelles fortes et des signatures propres à chaque artiste. Là aussi ces tatouages avaient quasiment disparus sous l’influence des colonisateurs mais depuis le milieu des années 1980, grâce aux travail d’associations culturelles, ils renaissent à nouveau comme emblèmes d’une fierté culturelle. Plus d’informations sur les Tā Moko ici.
Tā Moko traditionnel
  • Chez les Amazighs ou berbères, les tatouages sur le visage étaient aussi très répandus, au même titre que les motifs sur les bras ou les mains. À la fois symboles de beauté et de protection mais aussi d’appartenance à une tribu, ces motifs pré-islamiques ont malheureusement quasiment disparu dans le Maroc moderne. Autrefois célébrés et encouragés comme signe extérieur de beauté, les tatouages faciaux amazighs ont ensuite été montrés du doigt pour humilier celles qui les portaient. Là encore, quelques artistes résistent pour maintenir vivante cette longue tradition et lui donner un nouvel essor. En apprendre d’avantage sur les tatouages Amazighs ici.
Jeunes filles Amazighs au XXème siècle
  • En Afrique subsaharienne aussi, les exemples de tatouages sur le visage sont nombreux à travers le continent. L’un des exemples marquants se trouve chez le peuple nomade Fulani, aussi connu sous le nom de Peul, qui se répartit dans tout le Sahel (immense région qui s’étend du Sénégal jusqu’à l’Éthiopie). L’un des sous-groupes des Fulani, les Wodaabe, arborent des tatouages faciaux aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Ensemble de symboles à la fois esthétiques, magiques ou médicinaux, ces tatouages ont voyagé avec leurs porteu.r.ses du Nigéria au Bénin, en passant par le Cameroun ou bien le Niger. Plus d’informations sur les tatouages Fulani ici.
Jeune femme arborant des tatouages Fulani au Cameroun. © Joan Riera
  • Aux Philippines, le peuple Visayan et d’autres  ont longtemps eu comme tradition d’orner les visages avec des tatouages, connus sous le nom de batok. Réservés pour les rites de passage, les tatouages étaient la norme, aussi bien chez les hommes que les femmes et seuls certains individus, généralement des shamans, étaient autorisés à ne pas en porter. En apprendre d’avantage sur les tatouages Visayans ici.
Représentation espagnole des tatouages Visayans, datant de 1590
  • Plus surprenant peut-être, les tatouages faciaux ont aussi existé en Europe. À tel point que l’empereur romain Constantin Ier les fit interdire en l’an 316. Quelques siècles plus tard, le pape romain Adrien Ier fit autoriser, en 787, les tatouages à caractère religieux uniquement. C’est ainsi que trois siècles plus tard, lors des croisades, il était possible de voir certains croisés ou pèlerins porter des croix ou d’autres symboles chrétiens sur leur visage ou ailleurs pour marquer leur passage en Terre Sainte. Des informations sur l’histoire du tatouage pendant les croisades ici.

En dehors de tous ces exemples d’affirmation culturelle positive, il a aussi existé dans l’histoire des exemples de tatouages faciaux aux motivations plus sombres.

  • Chez certains peuples à travers le monde, il n’était pas rare de tatouer les visages des femmes pour éviter les enlèvements. Ainsi, chez les Apatani en Inde, chez les femmes Chin au Myanmar (ex-Birmanie) ou chez le peuple Derung en Chine, les tatouages faciaux étaient censés rendre les femmes moins belles, moins désirables et donc moins susceptibles de se faire kidnapper par d’autres tribus ou peuples.
  • Les tatouages faciaux ont aussi été utilisés dans certaines cultures comme des marques de châtiment. C’était le cas, par exemple, dans la Rome Antique, où les esclaves qui tentaient de fuir ou qui commettaient des crimes aux yeux de leurs maîtres, étaient marqués sur le front avec des symboles indiquant les crimes qu’ils étaient censés avoir commis. Cette tradition de marquer le visage des criminels ou soi-disant criminels, a aussi été utilisée au Vietnam au XXIème siècle sous le règne du roi Ly Thai Tong.

Comme nous l’avons vu au début de cet article, en Occident, les tatouages faciaux sont encore très chargés en représentations et en phantasmes négatifs. Leur impact sur la vie de celles et ceux qui les portent peut être immense. Des difficultés professionnelles, au rejet familial en passant par l’isolement social selon le contexte, ces discriminations sociales ne sont pas à prendre à la légère. 

Pour toutes ces raisons, les tatoueurs et tatoueuses sont souvent plus que réticent.e.s à tatouer les visages. Tout.e artiste sérieux prendra le temps de discuter en profondeur avec la personne souhaitant un tel tatouage. Appartient-elle à un groupe social ou une communauté où ces tatouages sont bien acceptés ? Est-elle consciente des discriminations possibles ? Quelle est sa situation professionnelle ? Cette personne est-elle déjà beaucoup tatouée sur le reste du corps ? Ses autres tatouages sont-ils visibles (cou, mains etc) ? Autant de questions qu’il est incontournable de poser avant de se lancer dans l’aventure d’un tatouage sur le visage.

Si l’on peut regretter cette grande frilosité des sociétés occidentales à l’égard du tatouage facial et de son histoire millénaire, il est néanmoins impossible de ne pas la prendre en compte pour éviter que ce qui devrait être un événement joyeux et excitant ne se transforme en cauchemar social et personnel.

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