TATOUAGE & DEUIL

Tous les salons de tatouages le savent, le tatouage sert bien souvent à marquer des événements marquants de la vie. Dans ces événements marquants de la vie, le deuil tient une place à part tant par son importance que par son caractère particulier.

Chaque artiste tatoueur ou tatoueuse est régulièrement amené.e à traiter des projets de tatouage qui s’inscrivent dans un processus de deuil. Que ce soit un membre de la famille dont on veut honorer la mémoire, un animal de compagnie que l’on veut garder sur la peau ou le souvenir d’une personne récemment disparue que l’on veut entretenir, le tatouage a toujours cherché à conjurer la mort et la perte.

L’un des critères constitutifs de la vie est l’impermanence mais cette idée semble, depuis toujours, échapper à l’humanité. De tous temps, nous avons voulu laisser des traces, rendre l’impermanent éternel. Que ce soit sur les parois d’une grotte, sur un rouleau de papyrus, sur des toiles peintes ou bien sur les pages vierges d’un livre, l’humanité a toujours refusé de laisser les choses ou les idées mourir. Cette disposition à refuser l’impermanence a bien entendu façonné notre rapport à la mort et donc au deuil. Même si le deuil revêt des apparences très diverses à travers le monde et les cultures, il a pourtant une fonction identique, figer dans marbre le souvenir d’une personne ou d’un animal disparu et aider à accepter l’inacceptable, lui donner un cadre rassurant et tenter de le rationaliser. Que ce soit la momification utilisée dans l’Égypte antique ou chez les Mayas et les Incas, les sites funéraires celtiques, les rites bouddhistes, les rites d’incinération ou d’inhumation, toutes ces approches si différentes à travers l’histoire et les lieux géographiques tentent de raconter et de figer une histoire dont les tenants et les aboutissants nous échappent éternellement.

Comme toutes les autres formes d’expression artistiques, le tatouage est donc lui aussi confronté à cette problématique du deuil et elle s’exprime naturellement de bien des façons différentes. Particularité, tout de même, du tatouage, il s’agit d’une œuvre d’art qui ne nous quitte jamais et dont il s’agit de bien mesurer le poids et la présence pour ne pas transformer un processus de deuil en chemin de croix.


La demande la plus fréquente que les salons de tatouages reçoivent est bien entendu l’inscription d’un prénom ou des initiales de la personne ou de l’animal défunt mais cela peut bien sûr aussi prendre la forme d’un portrait ou de tout autre représentation symbolique, de la plus évidente à la plus poétique ou mystérieuse au regard extérieur.

Pourtant les démarches derrière ces désirs de tatouages sont toutes différentes et propres à chacun.e. Y a-t-il de bonnes ou de mauvaises démarches de tatouage de deuil ? Nous ne nous engagerons pas sur ce terrain bien trop glissant mais on peut quand même observer que la raison d’être d’un processus de deuil est d’amener à l’acceptation et non d’entretenir une blessure éternellement ouverte. Il arrive ainsi que des artistes puissent refuser certaines demandes de tatouage de deuil lorsque la douleur paraît trop grande ou récente. Par exemple, une demande de tatouage quelques jours seulement après un décès, l’inscription d’une date ou même une heure de décès. Chaque client.e qui vient avec un tel projet, charrie aussi une certaine charge émotionnelle que l’artiste va nécessairement devoir prendre en charge en partie et elle peut parfois être bien trop lourde à porter.

Sans tirer de leçons de morale on peut sans doute s’interroger sur plusieurs critères qui peuvent éventuellement déterminer si la démarche s’inscrit vraiment dans un processus de deuil ou bien résulte d’une douleur insoutenable qui pourrait obscurcir le jugement personnel :

  • Le délai : Le projet de tatouage s’inscrit-il dans le temps long du deuil ou est-il envisagé en réaction à une disparition traumatisante ?

Le deuil est un processus, plus ou moins long selon les personnes, mais qui s’inscrit dans tous les cas dans une durée, avec des seuils de douleur qui baissent généralement avec le temps. Toute disparition, humaine ou animale est un trauma d’un point de vue psychologique pour celles et ceux qui subissent la perte. Pour une décision qui s’avérera, par nature, permanente et indélébile, il est probablement plus sage de n’être pas sous le coup d’un trauma trop vif qui pourrait altérer notre capacité de jugement et nous placer dans un état psychologique particulièrement fragile.

  • Le placement du tatouage permettra-t-il de dissimuler ou de ne pas penser en permanence à ce souvenir ?

Si le placement du tatouage est particulièrement visible, il faut évidemment s’attendre et être prêt à répondre à des questions fréquentes sur la signification du tatouage. Inscrire, par exemple, le prénom d’un enfant décédé sur tout un avant-bras pourrait s’avérer assez problématique pour dépasser le traumatisme et retrouver un rapport plus apaisé à cet événement tragique.

  • Le choix du motif est-il opportun pour aider dans le processus de deuil ?

Le choix d’un prénom ou bien d’un portrait accompagné d’une date de décès, s’apparente-t-il à une démarche de deuil ou ne pourrait-il pas évoquer l’idée d’une pierre tombale permanente sur la peau ? Une pierre tombale ou une plaque commémorative peuvent tout à fait s’inscrire dans le processus de deuil et de culture du souvenir mais ce sont des symboles que l’on décide d’aller voir à des moments précis et déterminés, ils ne sont pas censés nous accompagner 24h sur 24 sur notre peau.

On l’a compris, si le tatouage s’inscrit bien naturellement dans un processus de deuil, il faut néanmoins garder en tête son aspect permanent et visible afin que le tatouage puisse aider dans le processus de guérison et d’acceptation et non le rendre impossible.


Si l’expression du deuil est propre à chacun.e, les représentations graphiques que ce deuil prend sur la peau sont néanmoins souvent communes. Voici les représentations les plus courantes :

  • Le prénom ou les initiales de la personne. Il s’agit sans doute là de l’expression la plus courante des tatouages de deuil, la simple inscription du prénom ou des initiales de la personne aimée pour maintenir son souvenir vivant sur la peau. Petite variante un peu plus rare : le surnom ou diminutif affectueux. Il n’est effectivement pas rare de voir des tatouages “papounet“, “mamoune“ et autres petits mots empreints d’amour et d’affection
  • Le portrait. Nombreuses sont les personnes à vouloir garder le portrait, réaliste ou non, de l’être perdu sur la peau. Comme pour n’importe quel tatouage, il faudra alors prendre le temps de trouver l’artiste à la hauteur de la réalisation de ce tatouage. Quelle déception ce serait de porter un portrait raté d’une personne ou d’un animal qu’on a tant aimé. La tradition du portrait de personne défunte s’étend même au-delà de la description stricte du deuil puisqu’il n’est pas rare de voir des personnes arborer des portraits d’artistes mort.e.s, qu’ils n’ont bien sûr pas personnellement connu.e.s mais qui les ont suffisamment marqué.e.s. On pense bien sûr ici à des tatouages de Maryline Monroe par exemple, d’Amy Winehouse, Kurt Cobain ou bien Johnny Hallyday pour faire plus local.
  • L’écriture manuscrite de la personne disparue. Il est de plus en plus fréquent de recevoir des demandes de tatouages avec l’écriture manuscrite de la personne à qui l’on rend hommage. Que ce soit une expression familière, un petit mot doux ou autre, il est tout à fait possible, à partir d’un échantillon comme une lettre ou une carte postale, de reproduire son écriture personnelle dans un tatouage chargé en émotion.
  • Le tatouage symbolique ou poétique. Certain.e.s décident d’opter pour une approche encore plus personnelle et originale en se faisant encrer un motif symbolique et représentatif pour eux de la personne honorée. Que ce soit une fleur particulièrement chère au cœur de la personne disparue, un objet indissociable de la personne ou encore un poème, une chanson ou un paysage que les souvenirs ont raccroché pour toujours à cet être aimé, il y a autant d’approches symboliques possibles qu’il y a d’imaginaires individuels et uniques.

ET bien à question surprenante, réponse toute aussi surpenante, OUI !

Sans doute l’une des manifestations les plus surprenantes de la rencontre entre le tatouage et le deuil, est l’apparition assez récente d’une entreprise britannique proposant de fabriquer une encre de tatouage en y intégrant les cendres d’un.e défunt.e, humain ou non, avec toutes les exigences de sécurité et de stérilité requises. L’entreprise Cremation Ink, basée en Angleterre, propose en effet de recueillir les cendres d’un être aimé et de les intégrer dans une encre de tatouage, noire ou de couleur, avant de vous renvoyer le tout par la poste. Les encres ainsi fabriquées répondent en plus aux exigences réglementaires REACH de l’Union Européenne.
Il existe aussi une entreprise similaire aux Etats-Unis, Engrave Ink. Evidemment comme pour toute prestation personnalisée le prix pourra être dissuasif pour de nombreux budgets.

On imagine ici toute la portée symbolique de se faire faire un tatouage en hommage à un être perdu avec des cendres de cette personne ou de cet animal. Si l’engagement symbolique est total, la démarche pourra en séduire certain.e.s par son aspect quasi spirituel mais aussi en laisser d’autres de marbre ou même les effrayer…. on vous laissera juges.


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